Empreintes digitales de RIOPELLE à la Galerie Montcalm

retrouvées sur la face cachée du visible

par José Claer

© Ministère de la culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Diff. RMN-GP, Donation Denise Colomb (2022) © Succession Jean Paul Riopelle (Droits d'auteur Arts visuels-CARCC, 2023)

L’homme a laissé son œil sur la table en guise de pourboire.  Pour qui? Pourquoi? Un œil de hibou parmi lesquels 2000 qu’il a dessinés, et qui, eux, l’ont fait (au sens double de portrait et de réputation-signature.  Qui tenait l’un, l’autre / l’humain ou le volatile, la plume / qui était le vrai nyctalope?).  Cet œil est pourtant sans cils.  Trichotillomanie? Arrachés et greffés au bout de son pinceau? Nenni.  Ici, l’œil de l’artiste nous parle d’une cinquantaine de lithographies et d’eaux-fortes sur papier Velin noir ou d’arches blanc, période de 1967 à 1990.

Riopelle, c'est indéniable, est le doute en équation dans la création qui s’infiltre là où seulement la musique de Cohen avait su dévierger, avec une oreille en guise de clef, la porte du souffle qui souffre.  Ici dans le huis-clos/le 8-claustrophobique de la Galerie Montcalm, le regard établi, son règne.  Et pourtant, même si on accepte la consigne, comme au théâtre, que les rencontres sont des leitmotivs, la décomposition de l’abstraction continue à opérer à rétine ouverte.

Jean Paul Riopelle, Feuilles III (1967) © Succession Jean Paul Riopelle / COVA-DAAV (2023)

Doorman.  Un tableau solitaire, presque guillotine, suspendu ouvre le suspens de l’exposition : Empreintes.  (lithographie « Feuilles 111 »).  Côté face : déglutination d’un oiseau addict-boulimique de beautés rouges et noires.  Le trait pulsatif.  Une démangeaison de ressorts Slinky, du plat de spaghetti où la ligne sans cesse est en danger de se rompre au niveau du rythme.  Une œuvre palimpseste.  Cet oiseau couve.  Côté staccato : le jeu des transparences est mis à jour, des feuilles oui, ou le contenu de l’estomac-matrice de l’œil-oiseau dilaté jusqu’à la maladie du foie et de la Foi.  De même, herbier et bestiaire.  Avec « Affiche avant la lettre », on se retrouve devant ou plutôt à l’intérieur d’une pelote inextricable de tous les méridiens horaires, géographiques, les cordes-à-linges et cordes vocales de toute la planète.

Les archives ouvertes par la Ville de Gatineau et ses prestigieux donateurs en ce qui a trait à l’exposition qui se tient du 18 mai au 20 août, et grâce à l’audace toute en folie douce du commissaire invité Michel V. Cheff, Riopelle se retrouve dans de beaux draps, ça sent le printemps, une feuille à la fois, mais aussi le fou rire.  Je prends pour preuve : la suite sur la colonne centrale : « Herbe à puce », « Mauvaise herbe » et « Ortie », cette dernière surtout, dont les couleurs prennent du jaune, de l’orange, du vert aux joues.  Ça sent le frais coupé.

Jean Paul Riopelle, Ortie (1976) © Succession Jean Paul Riopelle / COVA-DAAV (2023)

« Il n’y a pas d’abstraction, ni de figuratif », le mur a raison avec sa citation, il y a plutôt contraction et direction en plein dans le bullseye (encore le hibou ou l’oie) de l’émotion en diffraction.

Et vous laisse en guise de faim et de soif, avec ce point d’interrogation :

Est-ce que le Jean Paul, signataire du Refus Global en 1948, aurait été recyclé en 2023 en Riopelle du snobisme officiel ?

L’exposition Empreintes; les estampes de Jean Paul Riopelle est présentée à la Galerie Montcalm jusqu’au 20 août et s’inscrit dans les activités de la célébration du 100e anniversaire de naissance de Riopelle de la Ville de Gatineau.