Savèches : Quand un écran nous transforme en papillon de nuit

Photo gracieuseté du Théâtre populaire d'Acadie.

Par Emmanuelle Gingras

Savèches, une fragmentation contemporaine en trois mouvements est un recueil de poésie mis sur scène pour mieux déchirer nos bulles contemporaines et nous faire voir le ciel. C’est jusqu’au 4 décembre que le Théâtre français du Centre national des Arts nous confronte aux impacts de la démocratisation de l’information, saveur acadienne. 

« Savèche » est un mot acadien qui signifie « papillon de nuit ». Métaphoriquement parlant, il s’agit de nous. Nos écrans sont les lumières contre lesquelles nous nous cognons le crâne, avant de tomber et de répéter l’action. Ça peut paraître bête, mais, dans ce geste sans fin, que devient notre humanité? 

Le texte de Jonathan Roy, la mise en scène d’Allain Roy, comme les deux interprètes, sont des funambules de la question. Savèches est un voyage poétique nécessaire, dense, discret dans sa violence, qui nous accompagne entre les étoiles du ciel et celles qu’on garde au chaud dans nos poches. 

Photo du spectacle Savèches, gracieuseté du Théâtre populaire d'Acadie.

Devant un écran… ou un théâtre ?

Sur scène, il y a deux acteurs, dont l’un est l’auteur du recueil poétique. Ils n’ont l’air de rien, leur corps tout comme la scène sont couverts d’un beige mièvre. Au début, nos deux savèches sont accompagnés de textes dans leurs mains, s’exprimant et alignant leurs impulsions verbales à celles de leur corps. On se dit : « Ça y est, nous voici devant une performance de slam! » 

Presque aussitôt, ces derniers se détachent de leurs papiers, tout en gardant des conventions du slam pour le reste de la performance. Jonathan Roy et Matthieu Girard font couler, avec justesse, les mots comme dans une traînée aussi longue que l’horizon… « qui a un beau cul » (ce ne sont pas mes mots, mais bien ceux de Jonathan). Avec cette rapidité, le public n’a d’autre choix que de s'attacher à quelques-unes des images qui retiennent à main nue le souffle. Il revit cette sélectivité nécessaire qu’il applique pour survivre une journée entière passée devant un écran. 

En trois mouvements, ou trois chapitres, Jonathan décortique la dualité contemporaine d’être un faux héros, qui peut faire une différence face à l'information qu’il voit défiler, mais dont il est paradoxalement aussi coupable ou participant. 

Ne vous laissez pas méprendre par les opinions de notre ère! Dans ces corps masculins, hommes et blancs se trouvent de petits garçons. Quand ils étaient jeunes, leur mère les élevait dans l’espoir qu'ils soient aimables et en bonne santé. Ce qu’ils regrettent d'avoir failli, avec le reste de leur société. 

Rewind. 

Pour mieux s'imaginer, il faut comprendre l’univers scénique de Claudie Landry : Un huis clos, une table avec ordinateur, une chaise à phare puis quelques branches blanches, that’s it

La scénographie ne cérébralise pas la poésie récitée, elle l’accompagne, rappelant justement un peu une grosse page blanche. Les éclairages créent des ponts entre les transitions et ponctuent le reflet des acteurs, qui ne sont plus que l' ombre d'eux-mêmes. Cet univers technologique aux mille et une possibilités extrait-il justement de nous ce qui nous rend « nous »? Soigne-t-il nos bestialités ou les exacerbent-ils? Une chose est certaine : il nous renferme avec celles-ci. Parfois au point de ne plus vraiment savoir où se placer, ni dans la société, ni dans l’amour, ni avec soi-même.

Nous voici enfermés avec les mots, presque sans autres points de repère. Un univers entonnoir pour mieux nous gaver. Cette façon d'orchestrer la scène répond un peu à toutes les questions soulevées dans le texte; de la simplicité née l’ingéniosité.