Rue des rêves brisés : Exil, révolte et banane pesée

Le livre Rue des rêves brisés de Guy Bélizaire photographié devant un panneau de graffiti sur lequel on peut lire Defund the police | Investir dans notre communauté. Photo : Geneviève Lessard

Le livre Rue des rêves brisés de Guy Bélizaire photographié devant un panneau de graffiti sur lequel on peut lire Defund the police | Investir dans notre communauté. Photo : Geneviève Lessard

Par Geneviève Lessard

Brutalité policière envers les Noirs et rues secouées de manifestations. Difficile de savoir si Rue des rêves brisés, le plus récent roman de Guy Bélizaire paru à l’automne 2019, tient du souvenir ou de la prémonition.

Après plusieurs décennies d’exil, les parents de Christophe lui annoncent qu’ils retournent vivre en Haïti et qu’il sera du voyage, que l’adolescent le veuille ou non. En préparation au départ, ils vendent leur maison de banlieue et s’installent dans un petit appartement de Montréal. Le jeune homme y fait la rencontre de Jimmy, un Haïtien de quelques années son aîné dont le destin bouleversera sa propre existence.  

L’action est campée dans le quartier Côte-des-Neiges de la métropole, décor éclectique à nul autre pareil au Québec, où se mélangent et s’entassent étudiants de l’Université de Montréal et communautés culturelles des quatre coins du globe. J’y ai vécu, quelques années. L’auteur réussit à nous transporter dans ses rues bondées, à nous faire sentir et entendre les barbecues et les rythmes de musiques d’ailleurs les jours de fête au parc Kent, à nous faire admirer le panorama depuis l’oratoire Saint-Joseph. Je pouvais presque entendre la famille et les amis de Christophe défiler dans le corridor de mon ancien 5 ½ sur Decelles.   

S’il m’a raconté un lieu que je connaissais et aimais déjà, Guy Bélizaire m’a aussi fait une petite place dans la cuisine d’une famille haïtienne et fait voir de l’intérieur une réalité que je ne pouvais que soupçonner. L’autorité parentale, la piété, la fierté et l’odeur de banane pesée, mais aussi le déchirement de l’exil, de l’attente, de la déception face à son propre pays. Dans les familles, la cassure profonde entre ceux qui viennent de là-bas et ceux qui sont nés ici. Entre ceux qui espèrent encore, et ceux qui se sont résignés à garder la perle des Antilles loin des yeux, mais près du cœur.

De phrases courtes et affûtées, l’auteur aborde des sujets de la réalité noire d’ici : la méfiance des jeunes Noirs à l’égard de la police, les réactions négatives des deux familles quant au couple interracial que forment Christophe et son amoureuse Mélodie, la « complicité indescriptible » qu’il ressent presque instantanément en présence de ses nouveaux amis Noirs. Rue des rêves brisés est un must pour toutes celles et ceux qui, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, ressentent le besoin de s’éduquer sur ces questions.

Le récit démarre lentement, puis s’embrase sans prévenir. Les péripéties se succèdent alors rapidement et prennent une ampleur inattendue. À travers elles, Christophe connaitra un véritable « coming of age » qui le verra passer d’adolescent incompris à jeune homme courageux et conscientisé. Il y a de ces drames qui font grandir vite, trop vite.

« Mais qu’est-ce qu’un délinquant? Que veut dire ce mot? Est-on délinquant quand on ne se laisse pas marcher sur les pieds? Est-on délinquant quand le système nous rejette parce qu’on n’est pas comme il le veut? Est-on délinquant quand on exige le respect? Est-on délinquant quand on s’insurge contre l’injustice? Si c’est le cas, alors je vous conseille tous de l’être, car il s’agirait alors d’une grande qualité. »

Rue des rêves brisés
Guy Bélizaire
Éditions L’Interligne

À propos de l’autrice   

Après avoir grandi à l’ombre des deux géants d’eau de Masson-Angers, Geneviève Lessard a immigré dans le quartier Wrightville du secteur Hull de Gatineau. Travailleuse du texte, elle traverse le pont Alexandra presque tous les jours pour aller traduire des mots à Ottawa. Elle écrit même les siens, lorsque son patron ne regarde pas.      

Le Pressoir