Démon et émancipation à Gatineau

Archives Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

Par Emmanuelle Gingras

Depuis le 6 juillet et jusqu'au 28 août, le Théâtre de l’Île accueille une rafraîchissante, mais brûlante adaptation de Pierre et Marie et…le Démon de Michel Marc Bouchard, dans une mise en scène de Kira Ehlers. On s’en doute par le titre, la pièce traite de trois personnages principaux; il y a Marie, il y a Pierre … puis il y a un démon. Ou alors, est-ce que ce démon est sa propre personne ou est-il une partie de Marie et de Pierre?

Au lendemain d’une soirée de célébration en l’honneur d'une importante promotion obtenue par Marie, le couple se réveille avec une troisième personne dans leur lit, à leur grande surprise. Situation improbable pour ce couple aux tendances conservatrices. Ce troisième joueur dans le couple s’appelle, sans grande subtilité, Blaise. La présence de Blaise active une braise dans la vie du couple; vie qui s'affaissait à force de subir un quotidien à la fois épuisant et monotone. Cette aventure d’un soir soulève de nombreuses questions quant à la solidité du couple et des intentions de ses membres, interprétés avec chimie indéniable par Marie-Eve Fortier et Nicolas Desfossés. Plus encore, la pièce questionne avec humour les limites du couple monogame.

Quand il est question d’amour, est-ce que le démon est dans les détails, dans l’acte de suivre ses impulsions dans le but de raviver une flamme éteinte, ou simplement dans la décision de vivre en marge des impositions sociétales?

Le rire en premier plan

Le texte de Pierre et Marie et…le démon met de l’avant des personnages complexes et contradictoires. Les émotions de Marie et Pierre face à Blaise sont multiples, témoignant leur attachement envers lui même 24 h suivant leur soirée d’amour à trois.

Avec une histoire qui frôle le vaudeville, Kara Ehlers réussit à rendre les improbabilités cohérentes et justes. Grâce à son sens du rythme et une mise en scène chorégraphiée avec minutie, le tout accompagne avec justesse les émotions changeantes des personnages. Le jeu de la distribution est également soigné : chaque geste, chaque expression faciale et chaque choix de ton est calculé et original, faisant de la pièce un exploit comique. Mention spéciale pour Chantale Richer, dans le rôle d’Angela, de la meilleure amie de Marie, qui ne peut dire une phrase sans faire rire aux larmes.

Être audacieux et réfléchis

Autre calcul réussi : le travail d’adaption du texte de Michel Marc Bouchard par Kira Ehler. Cette pièce, rédigée originalement en 1997, contient quelques références qui ne sont plus d'actualité. Pour cette raison, tel que confié dans une entrevue avec Le Droit, Ehlers a fait un travail d’adaptation pour actualiser le texte, notamment sur le sujet d’appropriation culturelle. Cette dernière reprend intelligemment quelques sujets sensibles, et réussit avec brio à les pousser en faveur du spectacle et du public.

Dans sa réflexion, Ehlers reste irrévérencieuse tout en étant confrontante. Un exemple tout subtil, qui surprend légèrement quand on y porte attention, est le choix de la chanson Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg comme trame d’entracte. Les gémissements de celle-ci plongent le public dans un malaise absolument brillant. 

Pierre et Marie et…le Démon est une pièce où la sensualité est au rendez-vous et qui pourrait peut-être même introduire le public gatinois à de nouvelles pratiques amoureuses. Le spectacle dans son ensemble fait preuve d’une ouverture d’esprit qui vient presque défier les conventions du théâtre d’été, ce qui en fait une expérience intergénérationnelle plaisante et nécessaire.

Quand? Du mercredi au dimanche jusqu’au 28 août
Où? Théâtre de l’Île (Vieux-Hull)
Combien? 19 $ à 32 $ (Billets)