Cutlass Spring : culminations et autres dangers

Par Emmanuelle Gingras

La Nouvelle Scène Gilles Desjardins, le théâtre de la Catapulte ainsi que le Trillium font un retour tant attendu suite à une saison incessamment interrompue. Jusqu’au samedi 12 mars, ils nous présentent l'étonnante performance de Dana Michel, qui épluche sans retenue sa sexualité, à la rencontre du regard et du monde matériel. 

Avant de plonger dans l’univers de Cutlass Spring, on nous avertit qu’il y aura de la nudité. Est-ce un moyen de nous préparer à un corps étranger après avoir été si longtemps isolé.e.s, ou alors est-ce une façon stratégique d’aborder le public de la région, peu habitué à la performance contemporaine?

Photo gracieuseté de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins

J’arrache le pansement, et je désinfecte après. Dans un monde où il y a la guerre, où l’on nous enivre de pornographie médiatique et politique, est-ce vraiment toujours la présence de seins qui motive un avertissement au public? 

Ce n’est pas d’un buste nu dont on aurait dû nous prévenir, mais bien de la nature dangereuse de la performance. Cutlass Spring regorge d’objets et d’actions qui semblent compromettre la sécurité du public. Dana perd à de nombreuses reprises le contrôle, au point d’en oublier son entourage. 

On sort le peroxyde, comme promis; cette notion de danger fait paradoxalement partie du génie de la performance. Le corps vulnérable de Dana, à la rencontre d'objets industriels, nous rappelle qu’être percé et aliéné par le monde extérieur est inévitable. 

Photo gracieuseté de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins

L’artiste de performance met la fourchette dans la plaie et se (nous?) pose la question, avec humour : comment accéder aux parties les plus intimes de soi-même, dans une culture emballée par du plastique et des conventions?

Ces objets présents sur scène la dominent et la pervertissent plus que le contraire. Les regards aussi. Ce doit être pourquoi le spectacle débute avec une rangée de chaises qui trône au cœur de la scène.

L’artiste rampe dans cette agressive pile de chaises vides. Elle s’y fond, avant de se révolter et de les jeter une à une dans un coin de la salle. Plus tard, scène couverte de glaçons, ce sont eux qui fondent : fondent contre les barrières de son corps et celles du monde matériel, qui sont pourtant inexistantes dans son, dans nos esprits.

Photo gracieuseté de la Nouvelle Scène Gilles Desjardins

Cutlass Spring est le processus d’une violente culmination qui perdure une heure. L’artiste culmine-t-elle vers la jouissance? Culmine-t-elle vers la récupération d’elle-même? Culmine-t-elle dans l’angoisse? Culmine-t-elle dans son aliénation? Culmine-t-elle vers sa relation à l’autre? Culmine-t-elle vers la déconstruction des stéréotypes? On ne le sait pas, mais une chose est certaine : le public ne peut qu’en jouir du début à la fin. 

Cutlass Spring est présenté jusqu’au 12 mars 2022. Il s’agit dune première production d’une série condensée de spectacles qui seront présentés dans les prochaines semaines. La Nouvelle Scène Gilles Desjardins présentera Rather a ditch ainsi que Dog Rising en doublé du 17 au 19 mars prochain. Tous les détails ici.