J’ai appris ça au cirque : Les livres tristes attendront

La première de couverture de J’ai appris ça au cirque de Baron Marc-André Lévesque. Photo : Geneviève Lessard

La première de couverture de J’ai appris ça au cirque de Baron Marc-André Lévesque. Photo : Geneviève Lessard

Par Geneviève Lessard

Le recueil de poésie J’ai appris ça au cirque de Baron Marc-André Lévesque m’a sauvé d’un small talk avec mon proprio qui, armé de duct tape, tentait de faire tenir ensemble les morceaux de ma cuisinière des années 80. Je n’ai rien contre la frugalité. J’ai seulement laissé ma sociabilité au bureau, où elle est morte de sécheresse aux côtés de ma plante-araignée.

Je pensais me réfugier derrière la couverture d’un livre. J’ai plutôt été téléportée dans le local d’informatique surchauffé de mon école primaire, puis au cœur d’un concert de squeaks de « chaussures d’intérieur à semelle non marquante » lors d’une partie de ballon quilles. Je me suis enfin retrouvée assise en tailleur sur le plancher-quand-même-marqué du gym, les yeux tout écarquillés devant l’époustouflant numéro de cirque des sixièmes.

J’ai appris ça au cirque propose une tournée des lieux communs doux‑amers de la préadolescence vus à travers les yeux d’une jeune femme à l’imagination débridée. Aux ados, le recueil fait découvrir une poésie candide, ancrée dans le réel et beaucoup plus limpide que les jardin de givre et spasme de vivre traditionnellement à l’étude. Une poésie qui ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis des rimes croisées, des sonnets et des alexandrins. Aux plus vieux, il offre des throwbacks assez épiques qui plongent dans la plus douce des mélancolies. Et à tous, il rappelle qu’on apprend toujours quelque chose, rarement ce qui était au programme.

Au tout début du confinement, j’ai lu Chasse aux licornes, le premier recueil du Baron, et la myriade de réflexions cocasses et d’associations de mots inattendues m’avait fendu le sourire jusqu’aux oreilles. J’ai appris ça au cirque prodigue les mêmes bienfaits. Imaginative, la jeune narratrice prête des ambitions secrètes et des émotions aux êtres inanimés. Les rideaux font des farces avec le vent, les éléments du tableau périodique s’envoient des becs soufflés et un chaton monarque géant est maîtrisé par des pompiers armés de pointeurs laser. Les livres tristes attendront après la pandémie.

Cette entrée aux éditions de La courte échelle, aux côtés des Ani Croche et des Zunik de notre enfance, confère à mes yeux un statut de rock star à Baron Marc-André Lévesque. Et donc à moi, qui ai brièvement partagé un 5 ½ avec le Gatinois d’origine, celui d’ex-coloc d’une rock star. Sans compter qu’on peut régulièrement l’entendre à l’émission Plus on est de fous, plus on lit! de Radio‑Canada. Gatineau a de quoi être fière, pareil.

« ma sœur m’a prêté sa boussole pour la fin de semaine

ma sœur a fait les scouts

au moins quatre ans

ma sœur m’a promis de briser mes secrets

                si jamais je perdais sa boussole  

quand je sors la boussole de ma sœur

                pour épater la galerie

ce n’est pas tant pour retrouver le nord

c’est un signet pour garder en tête

que ma sœur veut pas que je me perde »

J’ai appris ça au cirque
Baron Marc-André Lévesque
Édition La courte échelle

À propos de l’autrice   

Après avoir grandi à l’ombre des deux géants d’eau de Masson-Angers, Geneviève Lessard a immigré dans le quartier Wrightville du secteur Hull de Gatineau. Travailleuse du texte, elle traverse le pont Alexandra presque tous les jours pour aller traduire des mots à Ottawa. Elle écrit même les siens, lorsque son patron ne regarde pas.