Présages : La peur d’être piégé

Le livre Présages de Lisanne Rheault-Leblanc photographié devant une oeuvre de Caroline Beaudoin-Meloche. Photo : Scott Simpson

Le livre Présages de Lisanne Rheault-Leblanc photographié devant une oeuvre de Caroline Beaudoin-Meloche. Photo : Scott Simpson

Par Geneviève Lessard

Captive d’un grenier depuis ses 10 ans, Émilie, devenue femme, ne reconnaît plus son reflet dans la glace. Depuis soixante-deux jours, Félix est soudé à un sofa et doit s’en remettre aux soins de sa mère. Le cœur brisé par un homme marié, Laure se rend à leur ultime booty call dans les toilettes d’une église. Assaillie de fourmis et de peurs irrationnelles, Clara est sortie de force de son hibernation par son voisin. Mystérieusement enfermé dans le corps d’un zèbre, un travailleur d’usine se remémore sa vie humaine. Présages, la première œuvre littéraire de l’autrice Lisanne Rheault-Leblanc, contient 10 nouvelles et autant d’histoires qui font écarquiller les yeux.

Une version numérique du recueil a atterri dans ma boîte courriel quelques jours avant son lancement officiel à Gatineau, le 27 août dernier. Moi qui déteste lire à l’écran, je l’ai dévoré en deux heures à peine, incapable d’en détacher les yeux. Quand j’ai tenté d’en relire *seulement* quelques passages avant d’écrire ces lignes, il m’a avalé tout rond. Et tout ça avant même que je sache qu’il y avait un chat sur la page couverture.

Hypnotisée par le récit, il m’a fallu une cinquantaine de pages pour saisir toute la sorcellerie de l’affaire. Les titres des nouvelles, tels que « Rêver d’eau est signe d’un malheur prochain », sont inspirés de superstitions plus ou moins obscures qui agissent comme des présages sur les nouvelles qu’ils désignent. Ainsi, une jeune femme qui rêve qu’elle est entraînée au fond de l’eau voit ses vacances prendre une tournure… cauchemardesque. 

Pour les personnages principaux, les jeux sont faits dès le départ. Ils sont tous captifs non seulement de l’influence surnaturelle d’une superstition, mais aussi d’un lieu, d’un corps ou d’une émotion. L’un est coincé dans un appartement, un enclos ou une voiture, et l’autre est prisonnier de sa douleur ou de ses comportements toxiques. Si Présages m’a gardée éveillée une bonne partie de la nuit, c’est que l’œuvre a touché à une corde sensible : la peur d’être, comme ses personnages, privée de ma liberté. 

En plaçant des femmes au centre de ses récits, l’autrice raconte une façon d’être piégée propre à la femme : dans un corps qui change et qui trahit, dans une relation où sa voix n’est pas entendue. Ces réalités familières, doublées de descriptions ancrées dans les sensations physiques, m’ont fait ressentir certains passages jusque dans la moelle. 

Somme toute, Présages est une œuvre prenante qui propulse lecteurs et lectrices dans des montagnes russes d’émotions. Je serais curieuse de savoir si Lisanne Rheault-Leblanc a lu les livres Chair de poule et Frissons avec le même fanatisme que moi, au primaire. À la fin d’une nouvelle, le soulagement éprouvé après avoir constaté que j’étais bien emmitouflée au fond de mon lit, et non barricadée dans un grenier, m’a rappelé de tendres souvenirs de mon enfance de nerd

 « Si Laure avait pu enfiler la chasuble du prêtre aujourd’hui pour livrer un sermon à l’assemblée invisible devant elle, cela concernerait sûrement l’amour. Quoi d’autre? Création rebelle, fourbe comme le serpent du jardin d’Éden, qui nous séduisait d’abord avec une énergie vitale et chatoyante, mais conspirait à notre perte, et dont le souvenir mensonger, doux et impossible, rendait esclave pour toujours. Dieu est amour, lui répétait-on aux cours de catéchèse. C’est peut-être pourquoi, après avoir cessé de croire en lui, elle s’était retrouvée avec une soif terrible qu’elle cherchait constamment à étancher avec les mauvaises personnes. »

Présages

Lisanne Rheault-Leblanc

Del Busso Éditeur

À propos de l’autrice   

Après avoir grandi à l’ombre des deux géants d’eau de Masson-Angers, Geneviève Lessard a immigré dans le quartier Wrightville du secteur Hull de Gatineau. Travailleuse du texte, elle traverse le pont Alexandra presque tous les jours pour aller traduire des mots à Ottawa. Elle écrit même les siens, lorsque son patron ne regarde pas.