Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres de José Claer : Ces mots trop longtemps retenus

Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres de José Claer. Photo : Geneviève Lessard

Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres de José Claer. Photo : Geneviève Lessard

Par Geneviève Lessard

La plus récente œuvre de José Claer, sa première publiée à titre d’auteur ouvertement trans, m’a brassé le dedans. Elle m’a fait vivre des émotions poignantes, nouvelles. Elle m’a sablé l’épaule de sa barbe d’un jour et m’a trainée par les cheveux jusqu’en territoires inconnus.

Le premier poème du recueil se conclut sur une séance de masturbation dans un confessionnal d’église. Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres est fabriqué de textes trash qui abordent l’identité de genre et la sexualité sous toutes ses facettes, en ne cherchant surtout pas à ménager les âmes sensibles. C’est la parole libérée à plein volume, qui fait gricher les haut-parleurs cheaps et donne parfois le goût de se couvrir les oreilles. Elle vous met au défi de garder vos deux mains et vos deux yeux en tout temps sur le recueil, et d’accueillir pleinement ces mots trop longtemps retenus, cette langue trop souvent mordue. 

Comme l’annonce son titre, on y explore le thème du corps : le corps-instrument de souffrance et de plaisir, et le corps-enveloppe de chair parfois habité de plus d’une identité. Dans cet extrait qui se trouve en quatrième de couverture, on ose même toucher le Corps du Christ : « il glisse son chapelet d’héritage paternel entre mes grandes lèvres et me pénètre avec Jésus‑Christ en érection sur la croix ». Les nombreuses références à la religion catholique ont perturbé à souhait l’ancienne du Collège Saint‑Josesph que je suis, encore hantée par les crucifix et les statues de la Vierge Marie qui ornaient les corridors.

Par bouts, le spectacle éblouit. Dans un même poème, il semble se produire mille choses à la fois. José Claer puise dans la nature pour illustrer ses propos. On passe des paons aux éclipses, des chatons aux tremblements de mer. Des dizaines de gallons de peinture aux couleurs vives nous sont simultanément déversés sur la tête. 

En tant que femme cisgenre, je ne comprendrai jamais pleinement la complexité et l’intensité des états et des expériences qui amènent une personne transgenre à se révéler à elle-même et aux autres. Mais j’ai l’impression, naïvement peut-être, que la lecture de Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres m’a permis de pousser un peu plus loin une exploration nécessaire.

L’œuvre est d’autant plus puissante qu’elle a été écrite à plusieurs centaines de kilomètres de Montréal, épicentre de la littérature LGBTQ+ au Québec, par un poète qui se « lâche lousse » et s’écarte de son style habituel le temps d’un coming‑out artistique.

« Le ciel a mal au Soleil comme une galle sur un genou
Forcer la croûte, manger l’espace
Et le placenta dans sa chute
Pour voir la peau vierge dessous
Rose
Comme le mamelon d’un trans enceint
Gabriel a dit qu’il n’allaitera plus jamais
Son “jamais” me fait mal à mes seins d’obèse »

Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres
José Claer
Éditions L’Interligne


À propos de l’autrice
   
Après avoir grandi à l’ombre des deux géants d’eau de Masson-Angers, Geneviève Lessard a immigré dans le quartier Wrightville du secteur Hull de Gatineau. Travailleuse du texte, elle traverse le pont Alexandra presque tous les jours pour aller traduire des mots à Ottawa. Elle écrit même les siens, lorsque son patron ne regarde pas.