Copeaux : La beauté des choses qui s'effritent sous les doigts

Copeaux de Mishka Lavigne. Photo : Geneviève Lessard

Copeaux de Mishka Lavigne. Photo : Geneviève Lessard

Par Geneviève Lessard

Les ruptures les plus déchirantes sont celles qui ne laissent aucune raison tangible de haïr l’autre. Quand l’amour s’est éteint en silence. Qu’une épaisse fumée a déjà empli l’espace et raréfié l’air. Les fractures irrémédiables, évidentes, et pourtant difficiles à justifier.    

Elle était devenue l’ombre d’elle-même, ses envies de s’envoler réprimées par une tête trop lourde. Il voyait sa peau se hérisser à son contact. Elle avait oublié qui elle était, sans lui. Il la sentait déjà loin. Copeaux de l’autrice dramatique Mishka Lavigne est un échange qui tient parfois du réel et parfois du rêve entre deux ex-amoureux qui cherchent à apprivoiser l’absence et à faire sens de cette cassure.

Le rythme de l’œuvre est fort comme le courant d’une large rivière. Les échanges courts et puissants, l’évolution des corps l’un autour de l’autre sur la scène et le mouvement du souffle entre les deux personnages contribuent à cet effet de débit, d’écoulement. Copeaux emporte ses lecteurs (et ses spectateurs, je peux très bien l’imaginer) dans un torrent difficile à briser.      

Il y a dans Copeaux plusieurs images très belles et très justes ancrées dans la forêt : celle des « racines emmêlées [...] tissées serrées, qui étouffent » sous la surface, ou celle de la coupe à blanc qui révèle « ce qui était caché par les arbres, les cicatrices et les failles et les saillies ». Il y a aussi ce doux balancement entre fragments de la vie quotidienne moderne et tableaux surréalistes. À un moment, elle fixe le petit point vert à côté de son nom sur Messenger et choisit de ne pas lui écrire. À un autre, une volée d’oiseaux s’écrasent autour d’elle et lui meurent dans les mains. 

Si le nom de Mishka Lavigne vous dit quelque chose, c’est probablement parce qu’elle a remporté un prix littéraire du Gouverneur général en 2019 pour sa pièce Havre. Peut-être bien aussi que l’écrivaine d’Ottawa-Gatineau vous a donné un cours de yoga, sa deuxième sphère d’expertise, dans un studio de la région.

Il y avait un rendez-vous manqué entre moi et Copeaux. Je devais voir la pièce à la Nouvelle Scène Gilles Desjardins le 13 mars dernier, mais elle a subitement été annulée à la toute dernière minute en raison de la pandémie. Elle n’aura été jouée que trois fois sur ces planches. J’anticipais donc avec fébrilité la publication du format papier, qui donne enfin à la pièce un endroit où vivre.  

L’histoire racontée par Mishka Lavigne porte pour moi le nom de Jean-Sébastien. Elle en portera sûrement un pour vous aussi. Bien que cette rupture remonte à près d’une décennie, ses mots m’ont fait pleurer tellement ils résonnaient fort. Pleurer, mais aussi, d’une certaine façon, me réconcilier avec cette blessure. Avec la beauté des choses qui s’effritent sous les doigts.

« LUI

ce qu’il y avait avant

est-ce que je l’ai imaginé?

ELLE

avant

on était dans une forêt

toi et moi

on était dans une forêt

LUI

une forêt millénaire

au cœur des choses

ELLE

au centre du monde

il y avait toi et moi

LUI

je me souviens

c’était comme un rêve

ELLE

il y avait un ciel sans fin

un horizon infini

LUI

et après?

ELLE

la neige » 

Copeaux
Mishka Lavigne
Éditions L’Interligne

À propos de l’autrice   

Après avoir grandi à l’ombre des deux géants d’eau de Masson-Angers, Geneviève Lessard a immigré dans le quartier Wrightville du secteur Hull de Gatineau. Travailleuse du texte, elle traverse le pont Alexandra presque tous les jours pour aller traduire des mots à Ottawa. Elle écrit même les siens, lorsque son patron ne regarde pas.